Les addictions, qu’elles soient liées à des substances ou des comportements, sont un combat difficile. En complément des approches classiques comme les thérapies comportementales et les traitements médicaux, les art-thérapies se révèlent être un atout majeur qui encourage une prise de conscience permettant l’exploration de ses émotions et motivations profondes. Le constat est que l’accompagnement art-thérapeutique des personnes favorise la rémission : l’art-thérapie aide à se reconstruire durablement.
L’addiction : une lutte contre soi-même
Les personnes en prise avec une addiction font face à de nombreux défis :
- Perte de repères émotionnels
- Difficulté à verbaliser leur souffrance
- Manque de confiance en soi et isolement
C’est ici que l’art-thérapie trouve tout son sens. En mobilisant l’expression créative, elle permet une approche différente de la guérison, sans nécessiter obligatoirement l’usage des mots.
Expérience clinique : la colère et le sentiment de jugement
Lors de mon stage en centre d’addictologie, Clémentine exprimait une colère vive envers son entourage et le personnel médical qui la suivait. Cette colère était nourrie par un sentiment d’injustice et de jugement, reflétant l’ambivalence dans laquelle elle se trouvait : elle reconnaissait ses difficultés, mais résistait à la mise en place de solutions concrètes. La plupart des interactions devenaient prétexte à être interprétées sous une forme punitive. Son parcours était marqué par une panne de sens et de désir, un point central dans l’addiction. Cette situation m’avait interrogé : à l’époque, en tant que futur art-thérapeute, comment survivre à la pulsionalité que nous recevons en tant que thérapeutes ? Comment accueillir cette colère et ce sentiment de vide sans les absorber, les étouffer ou chercher à les combler selon nos propres projections de thérapeute ?
Le manque et l’objet de substitution en art-thérapie
Le concept de manque est central en psychanalyse et dans la compréhension des addictions. Jacques Lacan définit le manque comme une structure fondamentale du désir humain : il pousse l’individu à chercher sans cesse à combler un vide existentiel.
En art-thérapie, il est primordial de toujours garder à l’esprit que « le manque est le ressort même de la relation du sujet au monde ».
Chez les personnes souffrant d’addictions, ce manque tente souvent d’être comblé par une substance ou un comportement compulsif. Ainsi, s’inscrire dans un processus art-thérapeutique, c’est accueillir :
« ce manque comme simple fait de structure, en le situant comme incurable, en se refusant de le colmater, il devient plutôt stimulant de constater que c’est quand ce manque est invité que l’on accueille vraiment la réalité de la psyché et ses capacités poétiques à faire avec cette défectuosité structurale. »
Jean-Pierre Royol, Au fil de l’éphémère, Profacom Éditions, 2013, p. 111.
Jean-Pierre Royol souligne que l’art-thérapie permet d’investir, de sa trace singulière, l’espace ouvert par le manque. En d’autres termes, là où la substance tente de remplir un manque qui ne peut jamais être comblé, elle en vient à créer une dépendance. L’acte de création artistique, lui, vient inscrire une marque propre, signe d’une psyché désirante et vivante.
Dans le cas de Clémentine, l’espace créatif aurait pu peut-être être utilisé (si telle en eut été sa demande) pour lui permettre de se réapproprier son désir et ne plus vivre chaque parole extérieure comme un jugement. L’objet de substitution en art-thérapie devient alors l’acte créatif lui-même :
- Le geste artistique permet de structurer un vide intérieur.
- La production créative devient un repère identitaire, favorisant un renouveau psychique.
- La création agit comme un espace transitionnel où l’individu réinvestit son propre désir de manière saine et constructive.
L’art-thérapie : une voie d’expression complémentaire
Contrairement aux thérapies verbales classiques, l’art-thérapie permet de mettre en images, en son, en volume ou en gestes ce que l’on ne peut pas toujours exprimer par des mots. Peinture, dessin, sculpture, musique, danse ou mise en scène, mais aussi dispositifs éphémères, chaque médium devient un canal de communication des émotions enfouies.

Les bienfaits concrets
✅ Diminution du stress et de l’anxiété : Une étude menée dans un centre d’addictologie a montré que 75 % des patients ressentaient une diminution significative de leur stress après plusieurs séances d’art-thérapie (source).
✅ Renforcement de l’estime de soi : Produire une œuvre donne un sentiment d’accomplissement, favorisant ainsi un regard plus positif sur soi-même.
✅ Extériorisation des traumatismes : L’art devient un exutoire pour les souvenirs douloureux, permettant une libération progressive.
✅ Amélioration de la concentration et de la discipline : Idéal pour structurer l’esprit en période de rémission.
✅ Création d’une alternative au vide du manque : L’acte créatif devient un objet de substitution structurant.
✅ Encouragement à la prise de conscience : L’expression artistique permet d’explorer ses émotions et motivations profondes.
✅ Réintroduction du plaisir et du jeu : Redonne accès à une créativité spontanée, moteur du désir.
✅ Reconsolidation d’une identité positive : Permet de se voir autrement que comme une personne dépendante.
✅ Développement de la résilience : Aide à faire face aux épreuves sans recours aux substances.
✅ Création d’un espace transitionnel : L’atelier d’art-thérapie devient un lieu sécurisé pour se réinventer.
Comment intégrer l’art-thérapie dans un parcours de rémission ?
L’art-thérapie peut s’intégrer à différentes étapes du parcours de soin :
- En phase de sevrage : Pour apaiser le stress et exprimer la douleur intérieure.
- En post-cure : Pour travailler sur la reconstruction identitaire et la gestion des émotions.
- Dans une démarche de prévention des rechutes : Pour offrir une alternative saine face aux tentations.
À l’art-thérapeute professionnel, formé et soutenu dans un travail continu de supervision, de savoir comment favoriser dans sa pratique, ce pas de côté qui permet au demandeur de s’exprimer autrement que par le conflit ou le repli. Par sa propre capacité à porter un regard poétique sur le monde et par l’entremise de ses dispositifs créatifs, il peut, dans bien des occasions, ouvrir à permettre ce déplacement symbolique.
👉 L’art-thérapie, un allié pour une vie sans addiction (mais pas sans manque !)
Loin d’être une simple activité créative, l’art-thérapie est un outil thérapeutique puissant, offrant une complémentarité aux traitements traditionnels. En permettant aux personnes inscrites dans une démarche volontaire de se reconnecter à elles-mêmes, elle favorise un mieux-être en profondeur et aide à reconstruire une vie libérée de l’addiction.
Références
- Impact de l’Art-thérapie sur l’engagement dans un projet de soin de personnes alcoolo-dépendantes
- Comprendre le développement des problèmes de toxicomanie et pistes d’intervention en art-thérapie
- Évaluation de l’art-thérapie dans un programme résidentiel de traitement des addictions
- Les bienfaits psychologiques de l’art-thérapie pour les personnes en addiction
- Béatrice Géneau, Art-thérapie et médiations artistiques, Profacom Éditions, 2016
- Jean-Pierre Royol, Le souffle du neutre, Profacom Éditions, 2013
- Jean-Pierre Royol, Au fil de l’éphémère, Profacom Éditions, 2013
- Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Editions du Seuil, 1973.
- Jacques Lacan, La relation d’objet, Editions du Seuil, 1994